À la recherche de l'autre, à la recherche de soi.
Symphonis.
Capitale de la belle et jeune région de Capella.
J’y suis enfin.
Tout autour de moi, d’immenses bâtiments s’élèvent.
J’aime bien les grandes villes. C’est facile d’y être anonyme. Mais du coup, ça me complique la tâche.
L’homme que je recherche peut se dissimuler aussi facilement que moi, voire même un peu plus, il fait ça depuis bien plus longtemps.
Je crois que cette traque l’amuse. Qu’il joue avec moi.
Sinon, pourquoi m’aurait-il lui-même contacté pour me dire qu’il se trouvait maintenant à Capella ?
Je ne sais pas depuis quand il sait que je le cherche. Depuis le début, sans doute.
Mais je crois que le plus… Déstabilisant est qu’il savait où me trouver.
Il doit obligatoirement recevoir de l’aide.
Il veut que je le trouve.
Et je le trouverai.
Ne t’en fais pas, Lyo Buredo.
Un sourire se peint sur mes lèvres.
Honnêtement, après tout ce temps à parcourir le monde à sa recherche, il m’arrive parfois d’oublier s’il s’agit d’un jeu, d’une traque meurtrière, ou si je ne poursuis pas simplement un mirage.
Je ne sais pas ce que je ferai, quand je le trouverai, en fait.
Puis je secoue la tête et décide de penser à autre chose. Je n’y suis pas encore.
Si je suis sûr de mon intuition comme quoi tout ceci n’est qu’un jeu pour lui, il me reste à savoir à quel jeu de piste il veut s’adonner.
Après tout, c’est bien lui qui m’a amené dans cette région.
Je déambule dans les rues de Symphonis, repérant les lieux en cas d’éventuelle escapade - ce qui pourrait arriver – et atterrit finalement dans un square peu fréquenté, en périphérie du centre-ville.
Je remarque alors des affiches de recherches. Un coup d’œil m’indique qu’une personne est portée disparue, rien qui ne m’intéresse ni ne me concerne, en soi. Après tout, Symphonis a beau être une jeune ville, elle n’en est pas moins en pleine expansion et de plus en plus attractive. Ce qui inclut son lot d’organisations louches, vols, meurtres, et j’en passe.
Un climat sain et agréable, quoi.
Au milieu du square, un vieux Centre pokémon désaffecté. Vitres cassées, porte enfoncée, ce doit être un repère pour les jeunes adolescents rebelles du quartier… Ou les vagabonds de mon genre.
Après tout le toit à l’air de tenir, ça fera un bon abri.
Il faut que j’essaie de retrouver cet endroit ce soir.
Alors que je commence à repartir sur mes pas pour reprendre mes recherches vers des lieux plus fréquentés de la ville, j’entends un bruit étrange provenant de l’obscurité du Centre abandonné.
Je m’arrête : le cliché des mauvaises surprises que les gens rencontrent en allant fouiller dans ses moments-là.
Mais je ne suis pas ces « gens ». Et la curiosité est un de mes défauts.
Emily lève les yeux vers moi et doit comprendre ma décision, car elle soupire en sortant de ma poche.
«
Juste un coup d’œil, Lili. On n’y reste pas longtemps, promis. Et puis, mieux vaut vérifier maintenant tant qu’il fait jour plutôt que d’y aller de nuit. Non ? »
Elle soupire.
Deux minutes plus tard, nous somme dans ce qui fut l’accueil du Centre.
Tout est renversé, les tables sont cassées, dispersées aux quatre coins de la pièce et des graffitis recouvrent les murs.
J’avais vu juste, c’est un simple repère de jeunes, je n’ai pas de raison de m’inquiéter.
Comme pour me contredire, une porte au fond de la pièce grince soudainement. Drôle de coïncidence.
Emily semble désespérée.
«
Dans le pire des cas, il s’agira d’un simple pokémon farceur, et on en aura vite fait notre affaire. Mais je préfère m’en occuper maintenant. Tu comprends ? »
Son regard blasé pour seule réponse, je m’approche de la source du bruit.
La lumière du jour n’éclaire que difficilement à partir d’ici, je sors donc une lampe de poche et éclaire l’entrée qui s’offre à moi.
Tenant difficilement sur ses gonds, la porte entrouverte donne accès à des escaliers s’enfonçant dans les ténèbres.
J’écarte ce vieux morceau de bois branlant pour passer, et la poignée me reste dans la main.
Allons bon, ce n’est même plus désaffecté, c’est carrément en ruines.
Le bruit de mes pas résonne autour de mois alors que je descends les marches une à une, ma lampe éclairant difficilement l’obscurité.
Je n’ai jamais aimé les lieux confinés, alors autant dire que cet escalier ne m’est absolument pas agréable.
Après une descente qui me parait interminable, j’arrive dans un petit couloir au bout duquel se trouve encore… Au bout duquel il se devait se trouver une porte. Maintenant ce n’est plus qu’un trou noir béant, menant vers toujours plus de ténèbres.
Sur mon épaule, Emily se fait plus petite, se collant contre mon cou.
Je ne suis pas non plus rassuré.
Quelque chose ne tourne pas rond, mon assurance de tout à l’heure se fait moins présente.
L’air s’est rafraîchit, ce qui est normal, nous sommes sous terre, mais… L’atmosphère environnante est étrange. Comme… Moite.
Une étrange odeur me monte à la gorge. Comme une odeur de moisi, mais en plus… Désagréable. Et beaucoup plus fort.
Un côté de moi me crie de partir, de saisir ma chance. Et l’autre, maladivement curieuse et inconsciente, me supplie d’avancer.
J’hésite vaguement, puis avance lentement, pas après pas.
Ma respiration emplit tout l’espace sonore.
Une expiration, un pas en avant.
Une inspiration, un autre pas.
J’observe autour de moi.
Quelques machines éparpillées et cassées tapissent le sol, mais la plupart ont dû être enlevées quand le Centre a été fermé.
Une respiration, j’avance.
Le cycle se répète. Je bouge méthodiquement pour essayer de rester calme.
Lumière à droite, lumière à gauche, j’observe autour de moi.
Une respiration, j’avance.
Une respiration, j’avance encore un peu vers le fond de la pièce que je ne distingue toujours pas.
Une respiration, un pas de plus.
Deux respirations, je fais un pas de…
Je m’arrête.
Deux respirations.
Un frisson remonte le long de mon dos alors que je lève la lampe en face de moi, les doigts crispés sur la poignée.
«
Oh merde. Merde. Merde. »
Les bras attachés à deux chaînes fixées au mur du fond, les genoux trainant par terre, un corps se tiens devant moi.
Je fais un pas en arrière, remontant le col devant mon visage.
«
Qu’est-ce que… »
Une autre respiration qui n’est pas la mienne. Je regarde le corps.
Ce n’est pas vraiment une respiration, mais plutôt un râle.
Il n’est pas mort. Pourtant…
La poitrine lacérée de trois grandes et profondes griffures, il est couvert de sang, la tête penchée.
«
Vous… Vous m’entendez ? Vous êtes… Vivant ? »
Je crois qu’il essaie de me répondre, ou en tout cas il produit un son. Lentement, un pas après l’autre, je m’approche de l’homme.
Plus je m’approche, plus les taillades me semblent profondes. Je grimace.
« Il… »
Je m’arrête.
« Il a fait… Exprès. »
«
Exprès de ? Qui ça ? »
Je m’accroupis à sa hauteur, n’osant pas le toucher.
« De ne pas… Me tuer… Il savait… Que tu viendrais… »
L’homme tousse faiblement, recrachant quelques caillots de sang.
« Creshendia… »
«
Creshendia ? »
« Oui… Il… Il a dit t’attendre là-bas… Que tu… devais le trouver… Tu dois… Te dépêcher… Si tu es trop… Lent, d’autres en pâtiront… »
Je déglutis. Je crois connaitre la réponse à ma question, mais j’ai l’espoir de me tromper.
«
Qui ? Qui ça ? Qui m’attends ? »
« Lui… Celui que tu… Cherches. L’homme… L’homme au Dimoret… »
Mon rythme cardiaque s’accélère soudainement. Un mélange de peur et… d’excitation ? Je suis à nouveau sur sa piste. Mais je ne suis qu’un jouet, une simple distraction. Comment a-t-il su que j’arriverai ici ? Comment…
« Il a aussi… »
Je lève la tête. Il a quoi ?
« Il a aussi dit… Qu’il te laisserai… Un cadeau… »
Un cadeau ? Qu’est-ce que…
Un bruit dans mon dos. Une planche de bois qui se renverse.
Je ne réfléchis pas, attrape Emily dans ma main et me jette sur le côté.
Un bruit. Le béton du sol qui explose.
Si j’avais réagi une seconde plus tard, ce n’est pas le béton qui explosait, mais moi.
La poussière retombe.
Deux yeux rouges, une paire de canines. Et des griffes aussi longues que mon avant-bras.
Dimoret me regarde avec un sourire carnassier qui me glace le sang.
Emily s’agite dans ma main, mais je la maintiens. Elle n’est pas de taille, loin de là.
La bête me fixe quelques secondes de plus.
Lève son bras, regarde ses griffes, affiche un sourire malsain. Elle se relève, dévoile ses canines, et tend vivement son bras vers l’homme, ses griffes le transperçant et claquant contre le mur.
Je détourne le regard alors que le Dimoret sourit de plus belle.
L’homme pousse un râle et son corps se relâche.
Je suis pris d’un haut le cœur alors que le monstre s’écarte calmement.
Puis il disparait, trop rapidement pour que je le suive du regard.
Je relâche Emily, puis me redresse lentement, le corps tremblant.
Je regarde le cadavre du coin de l’œil.
Si tu es trop lent, d’autres en pâtiront.
Je crois avoir compris ce qu’il voulait dire par là.
M’appuyant contre le mur, je commence à me diriger vers la sortie, suivie d’Emily qui me vole autour pour s’assurer que je vais bien.
« Mi… ? »
Je me retourne vivement, sur le qui-vive, et éclaire le coin de la pièce d’où provient le bruit.
« Mi… ? »
Une petite créature que je n’avais pas remarqué durant tout ce temps s’approche du cadavre.
Dodelinant, la tête penchée un peu en arrière, une sorte de peluche se colle au cadavre.
C’est un pokémon ?
Il me dit quelque chose, mais… Il est rare d’en trouver en dehors de sa région natale.
« Mimi… ! »
Un Mimikyu. Et vu son comportement, il me semble évident qu’il appartenait à l’homme.
« Kyu… ? »
Il me fait de la peine…
Je m’approche doucement de lui.
Il se frotte contre le cadavre, comme pour le faire bouger, le faire réagir. Et j’ai l’impression… Qu’il pleure.
Je m’accroupis, me tenant à quelques pas de lui.
«
Petit ? »
Il se retourne lentement, comme s’il ne prenait conscience de ma présence que maintenant.
« Mimi… ! »
La tête de la peluche se secoue vivement, et il prend une posture plus menaçante. L’ombre sous son costume commence à s’étendre vers moi.
«
Non ! Non, écoute ! C’est pas moi ! C’est pas… Moi qui l’ai tué ! »
Il a un instant d’hésitation, l’ombre tremblotte.
«
Celui qui l’a tué… Qui a tué ton dresseur… Je le recherche aussi. Il m’a fait du mal à moi aussi. Tu n’as pas à avoir peur de moi. »
Je lève les mains et me relève doucement pour qu’il voie que je ne cache rien.
Emily flotte jusqu’à lui.
Ils se tiennent face à face.
Je ne sais pas trop s’ils communiquent d’un moyen ou l’autre, mais…
Quand Lili revient, le Mimikyu lève ses yeux brodés vers moi, la fausse tête du pikachu lui donnant un air innocent.
« Mi. »
Je ne sais pas vraiment ce qu’il veut, alors je recule d’un peu, comme pour partir.
« Mi ! »
« Poliiii ! »
Le Mimikyu vient se taper contre ma jambe et Emily se secoue devant ma tête, couinant à répétition. Comme si je la comprenais. J’aimerai bien.
Mais bon, leur attitude est assez explicite.
Je me penche vers la petite créature.
«
Tu veux venir avec moi ? »
La peluche me regarde et piaille en secouant sa tête.
«
Mais, tu sais… Je passe mon temps à vadrouiller ? Je cherche le Dimoret et son maître, mais… Je sais pas quand je le trouverai, ni même comment. Ce n’est même pas sûr que j’arrive à l’arrêter. Ni même que je le trouve, tout simplement ! »
« Mi, mi ! »
Il tape sa fausse tête contre ma jambe.
Je le prend entre mes mains.
«
Donc. Tu acceptes que je deviennes ton nouveau dresseur ? »
La petite créature regarde derrière elle, le corps enchaîné. Se retourne vers moi, puis m’observe longuement, me jaugeant.
« Mi. »
«
Tu acceptes que je te donne un… Nouveau nom ? »
Les yeux de la petite peluche vivante me font mal au cœur.
Il acquiesce.
«
Alors… Que dirais-tu de… Hum… Jigsaw ? »
Le mimikyu réfléchit un instant puis hoche de sa tête bringuebalante.
*****
Le jour suivant, après avoir pris une nuit de repos dans un Centre pokémon du centre ville malgré mon appréhension, j’étudie sur une petite carte l’itinéraire à suivre.
Finalement, j’opte pour la route qui me fera faire escale à Gavotte-Ville.
Direction la Route 3.
Accompagné d’Emily et Jigsaw qui a pris place sur mon épaule, sa tête dodelinant alors qu’il se repose, je traverse la ville, regardant tout le temps autour de moi, essayant de repérer un éventuel suivant, quelqu’un qui pourrait travailler à la solde de la Lame.
Je dois aussi partir de cette ville rapidement, dans tous les cas. Le cadavre de l’homme finira bien par être découvert et, sachant que les forces de l’ordre y découvriront sans doute mes empreintes, je ne tiens pas à rester dans les parages pour devenir le suspect numéro un.
Je regarde le panneau de sortie de la ville avec une certaine appréhension.
Je m’élance encore dans l’inconnu à la recherche d’un mirage dangereux et meurtrier.
Je soupire, puis regarde mes deux compagnons. Ces deux petites créatures ont perdu leurs dresseurs respectifs à cause de cet homme.
J’ai perdu ma famille.
J’expire un bon coup, me redresse et reprend contenance.
Je n’abandonnerai pas.
Je m’élance donc, aveuglément, essayant de ne pas réfléchir à ce qui m’attend
Ce n’est qu’après presque une heure de marche sur la route, vagabondant dans mes pensées, que je l’aperçois, assise au bord du fossé, un petit Zorua courant un peu plus loin.
Je m’approche, intrigué.
Recroquevillée sur elle-même, la jambe repliée, dos à la route, la jeune femme ne semble pas en bon état. Plus je suis près, plus je me dis qu’elle doit être blessée pour une raison ou une autre.
Les bras autour de sa jambe, la tête reposant sur son genou, ses longs cheveux bruns encadrent ses traits fins.
Je toussote doucement pour indiquer ma présence.
Un Tritox allongé à ses côtés relève soudainement la tête, me toisant du regard.
«
Euh… Salut. T’as un problème ? »
J’essaie d’afficher un sourire avenant pour ne pas l’effrayer.