« Le bateau vient d'arriver au port de Bourg-Prélude. Veillez à ne rien laisser dans votre cabine. Nous espérons que vous avez passé un agréable voyage avec notre compagnie. »

Lorsque je posais le pied sur terre, j'avais l'impression de renaître. Le voyage n'avait pas été bien agréable, et cesser de sentir le sol tanguer sous ses pieds m'apportait une bouffée d'air pur. Seul bémol, il y avait trop de population à mon goût. Être obligé de me mêler à la foule fut pénible, et je ne pouvais toujours pas faire sortir Kyenn. Il allait rester jusqu'à la fin des formalités enfermé, sans doute. Je n'aime pas cette idée, mais c'est mieux ainsi. Je risque de le perdre, sinon. Je fus rapidement emporté par la foule de nouveaux venus se pressant pour en finir au plus vite. Au vu des valises de certains, je suis heureux de n'avoir qu'un petit sac à dos comme bagages. Il faut dire que je n'ai jamais vraiment eu d'affaires personnelles et précieuses. Encore moins précieuses. Je me fis soudainement bousculer par un quelconque passant pressé. Quel manque de manière...

J'étais obligé d'attendre que l'interminable flot de nouveaux arrivants se tarissent enfin avant de pouvoir sortir du bâtiment qui commençait à m'oppresser. Je n'avais plus rien à faire, alors je décidais d'explorer l'endroit pour tenter de repérer un quelconque hôtel, et surtout, le centre Pokémon qui sera sans doute mon endroit préféré. Perdu dans mes pensées, je me rendis compte en me retournant par réflexe que Kyenn ne me suivait pas. Paniquant presque, je le cherchais immédiatement, courant à travers la ville.

« Kyenn ! Reviens-la ! Kyenn ! »

Je mis de longues minutes avant de m'arrêter, épuisé par mes gestes frénétiques. Je réalisais soudain que mon protégé n'était pas parti, ni ne s'était fait kidnapper par un quelconque malfrat, mais qu'il était toujours sagement rentré dans sa Pokéball. Avec toutes ces émotions, je l'avais oublié. Je ne suis pas habitué à le voir dans sa Pokéball. J'allais me mettre à l'écart des autres, cherchant un endroit relativement calme pour le faire sortir. Je vais devoir tout lui expliquer... En espérant qu'il comprenne tout. Une opportunité me tendit soudain les bras et je dénichais un coin peu bondé. Je vais enfin pouvoir le libérer... J'allais pour prendre sa Pokéball rangée à ma ceinture avant de sentir quelqu'un s'écraser contre moi. Je tentais de me rattraper, mais le déséquilibre de l'autre m'entraîna à terre et je finis sur le dos, regardant l'étourdi en soupirant.

« Vous pourriez faire attention... »

Je me relevais en le regardant s'éloigner. J'époussetais rapidement mon vêtement avant de porter à nouveau ma main à ma ceinture, dans le but de sortir enfin Kyenn qui devait s'impatienter. J'eus un coup de stress en remarquant l'absence de sa Pokéball. Je la cherchais frénétiquement à ma ceinture, regardais par terre avant de comprendre. Cet homme n'était pas qu'un étourdi. Il a du me voler Kyenn. Personne n'a le droit de faire ça. Personne n'a le droit de l'arracher à moi. Je dois le retrouver.

Je m'élançais immédiatement à la recherche de ce voleur. Il ne devrait pas être loin. Il n'a pas pu aller loin. J'évitais aisément les passants qui devaient me regarder d'un air réprobateur - on ne court pas dans une allée bondée, enfin -, n'hésitant pas à accélérer encore, jusqu'à ce que je l'aperçoive. Je ne sais pas combien de minutes s'étaient écoulées, mais elles étaient trop nombreuses. Bien trop nombreuses. Je fonçais droit sur lui, prêt à tout. L'attraper, le frapper, un croche-pied, esquiver un coup, un obstacle, un ennemi ? J'étais paré pour n'importe quelle solution. J'amorçais déjà mon coup en me rapprochant de plus en plus. Je ne laisserai personne, personne, menacer Kyenn à nouveau. Arrivé à un mètre de lui, je plongeais soudainement au sol, m'appuyant sur mes mains pour lancer mes jambes vers lui, l'une visant sa cheville, l'autre le creux du genou.

J'attrapais immédiatement son col, ramenant sa tête assez proche de la mienne pour lui donner un coup d'boule.

« Rends-moi Kyenn. »

Mon ton qui était pourtant las lors de nos premiers mots n'avait plus rien à voir. Il était incisif.

« C'est toi qui l'a emporté. Rends-le moi. »

Je pris son poignet droit et le tirais pour le renverser à terre, sous moi. Ma main commençait à le serrer, plus par nervosité que par réelle intention de blesser. Je ne pouvais l'empêcher, mon esprit étant occupé à deux choses : me concentrer sur ce que je faisais et penser à Kyenn qui était désormais vacant quelque part. L'idée de ne plus jamais le revoir me terrifiait. Tant et si bien que je ne laissais pas le temps à mon interlocuteur de dire quoi que ce soit avant de frapper le sol de mon poing, son poignet avec, criant presque.

« Rends-le moi ! »

Malgré tout ses efforts pour garder son sang-froid, ses yeux exprimaient ce que son visage ne pouvait faire, une colère sans nom, mais aussi une panique profonde. La peur de la solitude et de la perte d'autrui obstruait sa capacité de penser, le faisant agir par instinct.

Je relevais les yeux vers le Pokémon du voleur. C'est la Pokéball de Kyenn, aucun doute... Je relevais mon poing de son poignet, maintenant son bras à terre par l'avant-bras.

« Dis à ton Pokémon de me rendre Kyenn. Je ne te frapperai pas si je le récupère. »

Je regardais son poignet, m'en voulant un peu. Je sais que j'ai de la force, et ce n'est pas comme s'il avait pu éviter mon coup. J'avais frappé un adversaire ne se défendant pas et possiblement plus faible que moi. C'est une honte. Mais je ne pouvais pas rester sans rien faire et laisser Kyenn se faire arracher à moi.

« S'il te plaît. Rends-le moi. »

Mon ton s'était calmé au même titre que mes poings, et je ne faisais plus que le maintenir au sol en attendant fiévreusement sa réponse. Il ne peut pas refuser, si ?

« Ne tente pas de t'enfuir ou je te brise l'autre. »

Mon visage restant placide, on ne pouvait pas deviner que j'hésitais à réellement mettre ma menace à exécution. Il doit avoir suffisamment mal comme ça. Et puis, étant devenu pacifiste, j'avais cruellement honte de ma réaction. Je me relevais néanmoins pour laisser l'autre respirer. Mon regard ne le quittait cependant pas, bien que j'accordais aussi une parcelle d'attention à son Fantominus qui commençait à m'agacer. On a pas idée de faire ça à une Pokéball pleine...

Je devais être bien malchanceux pour être directement tombé sur un voleur de Pokémon, mais ce voleur devait lui aussi être bien malchanceux pour être tombé sur une personne comme moi. C'est vrai que j'ai l'air d'une personne banale, mais je doute qu'une personne ordinaire aille tacler de la sorte quelqu'un d'autre. Il m'a fallu beaucoup d'entraînement pour réussir à faire ce coup, et voilà à quoi je l'utilise. Je m'applaudirais si je le pouvais.

Je l'observais, me sentant peu à peu somnolant. Je posais ma main droite sur la gauche, levant rapidement le regard vers le Fantominus avant de me griffer assez violemment pour me faire saigner, la douleur me permettant de garder mes sens en alerte. Je regardais ensuite son dresseur pour soutenir son regard, sans plus me soucier de ma main qui me brûlait.

« Je n'ai rien. J'aimerai te proposer de l'argent, mais je n'ai même pas 1000 Pokédollars. J'aimerai te proposer mon trésor de famille, mais je n'en ai pas. Je voudrais payer les frais de médecine, mais il faudrait que je travaille pour ça, et je pense que tu ne veux pas quelque chose sur la longue durée. Je ne peux pas non plus proposer d'aller voir tes supérieurs pour m'excuser car je serai très mauvais à ça. Alors je ne sais pas quoi te proposer. Je ne sais pas comment tu peux être gagnant au change. Mais je ne repartirai pas sans le seul être qui apporte un sens à ma vie. Alors propose-moi des choses. N'importe quoi. Je pourrais essayer de te rendre service. Je refuse cependant de devenir un criminel. »

J'avais parlé clairement, sans aucune hésitation et sans broncher. Je me préparais déjà à me griffer l'autre main pour rester éveillé. Si ce Pokémon réussi à abuser mon esprit, je ne serai même pas digne d'avoir survécu jusqu'ici. Je connaissais des moyens pour me maintenir en état d'alarme avec le temps passé. Alors autant me servir de mes connaissances pour gagner cette délicate affaire.

Je réfléchis quelques secondes. L'idée ne m'enchantait pas mais j'étais celui qui l'avait proposé, en un sens. Cette situation est risible. J'ai beau avoir grandi, me voilà dans la même situation que quand j'avais 5 ans. Je vais redevenir un esclave. Est-ce que je vais vraiment le faire ? Je refuse de retourner à ma vie d'avant. Alors je sais ce qui me reste à faire. Faire profil bas, récupérer Kyenn et m'échapper ensuite. Je n'ai pas le choix. Je hais faillir à mes promesses.

« Je refuse cependant de causer du tort à des innocents ainsi que de me mettre à quatre pattes et de parler comme un Pokémon. Et de porter un collier. Autrement, j'accepte. Est-ce un marché correct ? »

Je dois cependant l'aider un peu... Je lui ai explosé le poignet et peut-être la cheville, à le tacler de la sorte. Je vais jouer le jeu un moment, et on verra bien jusqu'où cela me mènera. Certes, je risque des représailles, mais je ne ferai pas les mêmes erreurs. Yuri n'est plus là pour moi, il est temps que je me prenne en main. Je ne serai plus celui qui se fera utiliser aveuglément comme avant.

Je secouais la tête en sentant le Fantominus me laisser en paix. C'était un soulagement certain, je n'avais plus à me blesser pour me maintenir éveillé.

« Rends-moi Kyenn, s'il te plaît. Il déteste être enfermé dans sa Pokéball. »

Je ne crois pas qu'il m'ait entendu. J'eus un soupir pendant que je lui emboitais le pas. J'ai l'impression d'être un aimant à problèmes, en quelque sorte. Peut-être que c'est le cas. Ça ne m'étonnerait pas.